Un problème complexe, une injustice crasse
En quelques lignes, et en évitant surtout de faire fuir rétifs ou béotiens de la chose fiscale (dont nous sommes, avouons-le d’emblée), il faut donc rappeler ici l’origine de ce problème: depuis décembre 2011, un arrêt du Tribunal fédéral, consécutif à un litige en Argovie, soumet les plus-values immobilières agricoles non plus à l’impôt sur les gains immobiliers mais à l’impôt sur le revenu. Et c’est un monstre changement de paradigme, en cas de vente ou de transmission d’un bien situé en zone à bâtir, pour les cantons fonctionnant avec le système dit "dualiste", dont Vaud, Genève, Fribourg, Neuchâtel et le Valais. "Pour Vaud, la taxation est ainsi passée de 7% à environ 40%, voire près de 50% si l’on prend en compte les intérêts moratoires de l’AVS dus aux retards de taxation du fisc", s’insurge Raphaël Mahaim. Or, depuis, aucune initiative politique n’a permis de revenir au système d’avant cet arrêt du TF.
"Une arnaque invraisemblable!"
"Le Grand Conseil vaudois était toujours uni contre cette jurisprudence, car le prix des terrains, surtout sur la Côte, est ici très élevé, avec des conséquences qui devenaient dramatiques", rappelle la vice-présidente de l’association GRIEF et ancienne députée Vert’libérale Martine Meldem. "Mais le législatif s’est heurté à l’inflexibilité du ministre des finances Pascal Broulis. Idem avec le grand argentier de la Confédération Ueli Maurer, qui a menacé de couper dans les budgets du social. Pourtant je le dis sans détour: cette situation est juste une arnaque invraisemblable!"
Dualiste ou moniste: un trop vaste chantier
Retour à Raphaël Mahaim: "Le rejet de mon initiative parlementaire à Berne, déposée dès mon arrivée sous la Coupole en 2022, s’explique surtout par le fait que de nombreux cantons alémaniques ne sont pas concernés car ils ont un système moniste, qui prévoit de tout imposer à la plus-value immobilière". Alors pourquoi ne pas tous passer au système moniste? "Nous ne voulons pas de cette réforme drastique d’un système cantonal, qui pourrait avoir des conséquences gigantesques sur d’autres secteurs. Car pour rétablir une fiscalité correcte dans le domaine agricole, on ferait alors payer davantage de très nombreux indépendants. On ne peut pas faire porter aux agriculteurs le poids d’une réforme fiscale qui concerne tout le monde. Il faut plutôt modifier la boîte à outils, qu’elle soit fédérale ou cantonale, pour offrir un soutien plus performant."
Il faut se faire conseiller
Cela posé, même si le problème a déjà plus de dix ans, il va falloir se montrer patient. "Moi j’encourage toujours les familles paysannes à ne pas attendre les avancées politiques", concède le conseiller national, "mais à faire appel à des plateformes de conseil pour éviter autant que possible des déconvenues qui peuvent être très douloureuses." Pendant ce temps, le Conseil fédéral est désormais tenu de rendre un rapport complet sur les conséquences du revirement de jurisprudence de 2011, dressant un état des lieux du nombre de contribuables concernés (on parle de plusieurs centaines rien que dans le canton de Vaud), et comparant les pratiques cantonales pour identifier les adaptations des bases légales possibles pour "atténuer la rigueur de certaines situations". Car ailleurs en Romandie, les services des contributions se seraient parfois montrés plus conciliants, avec des estimations d’immeubles assez basses, réduisant la plus-value et du même coup le taux de taxation.
Prévoir davantage d’exceptions
"Nous, on voudrait spécialement avancer sur les donations", conclut Raphaël Mahaim, "car elles n’impliquent pas d’apport d’argent pour le contribuable, et elles ne devraient pas être traitées de la même manière qu’une vente. Tant qu’il n’y a pas de cash, il ne devrait pas y avoir d’impôts. Avec le rapport attendu, on veut une base de travail factuelle sur laquelle débattre, identifier les bonnes idées là où elles sont, prévoir plus d’exceptions à cette jurisprudence du TF. Et il faudra absolument garder cette union sacrée politique, à Berne et ailleurs, pour les faire aboutir."
Sachant qu’à côté des prix à la production et de la réduction de la surcharge administrative, une transmissibilité normale et durable de l’outil de travail aux jeunes générations fait assurément partie des enjeux agricoles du moment.
Etienne Arrivé/AGIR